Hommage a Vassily Kandinsky
Titre: Mort-nées
Place of Creation: Paris, Musée du Louvre
Performance / Marya Yaborskaya
Documentation / Michell Jimenez
C’est en 1910 que Kandinsky écrit « Du Spirituel dans l’art, et dans la peinture en particulier ». De
multiples rééditions depuis lors montrent l’importance de cet ouvrage dans la fondation de l’art
abstrait.
La force d’éveil prophétique
Pour lui l’œuvre d’art s’inscrit dans son époque mais annonce en même temps une ère nouvelle.
Toute œuvre d’art est l’enfant de son temps et, bien souvent, la mère de nos sentiments.
Ainsi de chaque ère culturelle naît un art qui lui est propre et qui ne saurait être répété. Tenter
de faire revivre des principes d’art anciens ne peut, tout au plus, conduire qu’à la production
d’œuvres mort-nées. (p.51)
Et de distinguer l’art castré sans descendance de l’art promis à un bel avenir.
Nous avons dit plus haut que l’art est enfant de son temps. Un tel art ne saurait rendre que ce
qui, dans l’atmosphère du moment, est clairement accompli. Cet art, qui ne renferme en soimême
aucun potentiel d’avenir et n’est ainsi que l’enfant de son époque, n’engendrera jamais le
futur : c’est un art castré. Il est de courte durée et meurt moralement lorsque l’atmosphère qui
l’a créé vient à changer.
L’autre art, susceptible d’autres développement, prend également racine dans son époque
spirituelle, mais n’en est pas seulement le miroir et l’écho ; bien au contraire, il possède une
force d’éveil prophétique qui peut avoir une profonde influence. (pp.57-58)
Cette « force d’éveil prophétique » vient de l’âme de l’artiste, de ses vibrations intérieures, de ce que
Kandinsky appelle une « nécessité intérieure » qui pousse les artistes à s’exprimer, à créer une œuvre
en dehors d’eux-mêmes.
Consciemment ou non, ils obéissent au mot de Socrate : « Connais-toi toi-même ».
Consciemment ou non, les artistes se penchent peu à peu sur leur matériau, l’essaient, pèsent
sur la balance de l’esprit la valeur intérieure des différents éléments par lesquels leur art est en
mesure de créer. (pp.97-98)
Ainsi l’œuvre d’art prend-elle une existence propre, par laquelle elle rejoint l’expérience des autres
sans passer par l’artiste. Elle perdure.
Ici s’ouvrent les voies d’objectivation de l’art où l’artiste n’est rien d’autre qu’un instrument
secret et caché aux regards alors que l’œuvre elle-même a l’air d’être tombée toute prête du
ciel : la pulsation de l’artiste ne s’entend plus dans l’œuvre, cette dernière vit avec ses propres
pulsations. (p.93)
C’est d’une manière mystérieuse, énigmatique, mystique, que l’œuvre d’art véritable naît « de
l’artiste ». Détachée de lui, elle prend une vie autonome, devient une personnalité, un sujet
indépendant, animé d’un souffle spirituel, qui mène également une vie matérielle réelle – un
être. (p.197)
La nécessité intérieure
Ainsi les gens de la société dans laquelle vit l’artiste, mais aussi ceux d’autres cultures et d’autres
époques pourront être portés par son œuvre, s’ils perçoivent l’expérience spirituelle qu’elle porte en
elle-même.
La nécessité intérieure naît de trois raisons mystiques. Elle est formée de trois nécessités
mystiques :
- chaque artiste, en tant que créateur, doit exprimer ce qui lui est propre (élément de la
personnalité),
- chaque artiste, en tant qu’enfant de son époque, doit exprimer ce qui est propre à cette
époque (élément du style dans sa valeur intérieure, composé du langage de l’époque et du
langage de la nation, aussi longtemps que la nation existera en tant que telle),
- chaque artiste, en tant que serviteur de l’art, doit exprimer ce qui est propre à l’art en
général (élément de l’art pur et éternel que l’on retrouve chez tous les hommes, chez tous
les peuples, dans toutes les époques, dans l’œuvre de chaque artiste, de toutes nations et
de toutes les époques et qui, en tant qu’élément principal de l’art, ne connaît ni espace ni
temps).
Nous devons seulement traverser avec l’œil spirituel les deux premiers éléments pour
apercevoir ce troisième élément mis à nu. (pp.132-133)
L’artiste ne doit pas se préoccuper de ce qui se fait ou non dans son époque, mais uniquement rester
fidèles à sa « nécessité intérieure ».
L’artiste doit être aveugle vis-à-vis de la forme « reconnue » ou « non reconnue », sourd aux
enseignements et aux désirs de son temps.
Son œil doit être dirigé vers sa vie intérieure et son oreille tendue vers la voix de la nécessité
intérieure. (p.138)
La beauté
Chaque époque chasse l’autre. Une forme esthétique qui a peiné à se faire admettre, devient bientôt
la norme, alors qu’elle est déjà soumise à critique et dépassée par d’autres créations.
La forme aujourd’hui reconnue est une conquête de la nécessité intérieure d’hier, restée sur une
certaine marche extérieure de la libération, de la liberté. Cette liberté d’aujourd’hui a été
assurée par un combat et semble, comme toujours, à beaucoup, devoir être « le dernier mot ».
(p.136)
Le jugement porté sur une œuvre ne doit avoir d’autre critère que sa capacité à faire vibrer l’âme, à
mettre en communication des univers intérieurs par-delà les temps et les lieux. Kandinsky développe
alors sa théorie des couleurs, connue de tous les étudiants des Beaux-Arts, langage adapté, mieux que
le dessin, à cette vibration de l’âme et comparé à la musique, langage universel.
C’est à ce point de vue intérieur qu’il faut se placer, et exclusivement à ce point de vue, pour
répondre à la question de savoir si l’œuvre est bonne ou mauvaise. Si elle est « mauvaise »
dans la forme ou trop faible, c’est que cette forme est mauvaise ou trop faible pour provoquer
dans l’âme des vibrations d’une résonance pure. De même une image n’est pas « bien peinte »,
si les valeurs (les inévitables valeurs des Français) sont convenablement choisies ou si elle est
répartie d’une manière quasi scientifique entre le chaud et le froid mais, au contraire, est bien
peinte l’image qui intérieurement vit totalement. Et de même n’est un « bon dessin » que celui
auquel rien ne peut être changé sans que cette vie intérieure soit détruite, sans qu’il y ait lieu
de considérer le dessin en contradiction avec l’anatomie, la botanique ou toute autre science.
(pp.197-198)
La « beauté » n’est donc pas une question de canons esthétiques mais d’intériorité. Est beau ce qui
procède d’une nécessité intérieure de l’âme. Est beau ce qui est beau intérieurement. (p.203)
Pour Kandinsky,
l’activité artistique n’est donc pas un concours de beauté formelle, mais la nourriture de l’âme, l’unique
semble-t-il dire.
l’art dans son ensemble n’est pas une vaine création d’objets qui se perdent dans le vide, mais
une puissance qui a un but et doit servir à l’évolution et à l’affinement de l’âme humaine (…). Il
est le langage qui parle à l’âme, dans la forme qui lui est propre, de choses qui sont le pain
quotidien de l’âme et qu’elle ne peut recevoir que sous cette forme.
Si l’art se dérobe devant cette tâche, ce vide ne pourra être comblé, car il n’existe pas d’autre
puissance qui puisse remplacer l’art. (p.200)